
Les souks hebdomadaires marocains, véritables institutions socio-économiques, sont aujourd’hui confrontés à des défis de taille. Ces marchés traditionnels, qui ont joué un rôle crucial dans l’économie rurale pendant des siècles, sont désormais menacés de disparition. Parmi les souks les plus emblématiques du royaume, celui de Had Louizia, situé dans la région de Benslimane, a déjà fermé ses portes définitivement, le 29 décembre 2024, marquant la fin d’une époque pour ce marché qui attirait non seulement une clientèle nationale mais aussi internationale.
Une Institution en Péril : Le Souk Had Louizia
Le Souk Had Louizia, qui se tenait chaque dimanche, était l’un des souks les plus renommés au Maroc. Sa fermeture marque un tournant dans l’histoire des marchés hebdomadaires du pays. Ce souk n’était pas seulement un lieu de commerce mais aussi un espace de rencontre et de socialisation. Il attirait des milliers de personnes chaque semaine, et était un point névralgique pour les habitants de la région, aussi bien pour les agriculteurs, les commerçants que pour les artisans locaux.
Cette fermeture est symptomatique d’un phénomène plus large : celui de l’érosion progressive de la pertinence de ces souks traditionnels face à des problématiques modernes. Les raisons de cette disparition sont multiples, allant de l’insuffisance d’infrastructures aux problèmes de gestion et de déficits financiers. La fermeture de souks aussi emblématiques a de fortes répercussions sur l’économie locale, où ces marchés jouent un rôle fondamental pour la survie des populations rurales.
Les Souks Hebdomadaires : Une Tradition Essentielle à l’Économie Rurale
Les souks hebdomadaires représentent bien plus qu’un simple marché. Ils sont un véritable moteur économique pour les zones rurales du Maroc, permettant aux producteurs locaux, notamment les agriculteurs, d’écouler leurs produits et de trouver une place sur le marché national. Ces marchés servent également de point de vente pour des produits artisanaux, textiles, céramiques, et bien d’autres, contribuant à l’économie informelle du pays.
Avec 1 022 souks actifs répartis sur tout le territoire, ces marchés font partie intégrante du paysage social du Maroc. Dans des régions éloignées où l’accès à des commerces formels reste limité, les souks hebdomadaires sont souvent le seul moyen d’échange commercial et la principale source de revenus pour une large proportion de la population.
Ils sont aussi des espaces de rencontres humaines où les liens sociaux sont renforcés. Ces souks jouent ainsi un rôle crucial non seulement dans l’économie mais aussi dans la cohésion sociale des communautés rurales.
Les Défis des Souks : Infrastructures et Modernisation
Les souks, bien qu’indispensables à l’économie rurale, souffrent de lacunes infrastructurelles majeures. À peine 56% des souks sont dotés d’électricité, et moins de 16% sont raccordés à un réseau d’assainissement. Ces déficits compromettent la sécurité et le confort des commerçants et des clients, tout en freinant leur compétitivité face à l’émergence de nouveaux modèles commerciaux plus modernes.
Le manque de réseaux d’assainissement, d’éclairage public et d’infrastructures de base rend certains souks peu attrayants, et cela dissuade aussi bien les commerçants que les consommateurs de s’y rendre. De plus, la gestion de ces souks est souvent décentralisée et souffre d’une absence de coordination efficace entre les différentes parties prenantes. Ces obstacles structurants rendent difficile l’évolution de ces souks vers une version plus moderne, tout en préservant leur caractère authentique.
Le Plan National de Sauvegarde : Un Financement d’un Milliard de Dirhams
Face à cette situation préoccupante, le gouvernement marocain a réagi en mettant en place une feuille de route nationale visant à moderniser et à sauver les souks hebdomadaires. Cette initiative, dotée d’un financement de 1 milliard de dirhams, cherche à répondre aux défis actuels en améliorant les infrastructures, la sécurité et la gestion des souks. Les principales mesures proposées incluent :
- Renforcement des infrastructures de base : Raccordement des souks à l’électricité, à l’assainissement et à l’eau potable. Cela permettrait d’améliorer le confort des usagers et la sécurité alimentaire des produits commercialisés.
- Amélioration de la sécurité et de l’organisation : Mise en place de dispositifs de sécurité pour les commerçants et les clients, et meilleure organisation des espaces pour faciliter les échanges commerciaux et éviter les encombrements.
- Soutien aux producteurs et commerçants locaux : Mise en place de programmes d’accompagnement pour les agriculteurs, artisans et autres petits commerçants afin de les aider à se moderniser tout en conservant leur caractère traditionnel. Ce soutien pourrait prendre la forme de subventions, de formations ou encore de facilités d’accès au crédit.
- Promotion et digitalisation : Envisager l’introduction de technologies numériques pour améliorer la gestion des souks et la promotion des produits locaux à travers des plateformes en ligne, ce qui permettrait de toucher une clientèle plus large, y compris à l’international.
L’Importance de la Modernisation sans Perdre l’Authenticité
La modernisation des souks ne doit pas se faire au détriment de leur identité culturelle. Les souks sont un véritable patrimoine vivant, et les efforts de modernisation doivent veiller à préserver leur caractère authentique tout en les rendant plus accessibles et compétitifs dans un marché de plus en plus globalisé.
Le défi majeur réside dans la convergence des intérêts économiques et culturels. Les souks doivent devenir plus attractifs et sécurisés pour les commerçants, tout en restant des lieux de rencontre et de partage dans le respect des traditions locales. Cela implique que la modernisation soit menée de manière participative, avec l’implication des acteurs locaux, des producteurs et des consommateurs.
Sauver un Patrimoine en Mutation
Les souks hebdomadaires marocains se trouvent à la croisée des chemins. Si la modernisation et la réforme sont cruciales pour leur survie, il est tout aussi important de préserver leur fonction socio-économique et leur identité culturelle. Le plan de modernisation annoncé, avec son financement de 1 milliard de dirhams, représente une étape essentielle pour sauver ces marchés traditionnels. Cependant, il est nécessaire que les acteurs locaux, les autorités publiques et la société civile travaillent ensemble pour garantir que ces espaces, qui font partie intégrante de l’histoire et de la culture du Maroc, continuent à jouer un rôle clé dans la vie des communautés rurales.