
La Mosquée de Paris, inaugurée en 1926, est un monument emblématique de la capitale française, tant sur le plan architectural que sur le plan religieux. Construite dans le cadre des remerciements de la France à l’Empire ottoman et aux pays musulmans pour leur soutien lors de la Première Guerre mondiale, cette mosquée a progressivement acquis une importance symbolique, non seulement en tant que lieu de culte, mais aussi en tant que représentation de la présence musulmane en France.
Cependant, depuis plusieurs décennies, la question de son lien avec le Maroc est devenue un sujet de débat juridique et historique, notamment en raison des affirmations concernant la « marocanité » de la mosquée. Ce terme renvoie à l’idée selon laquelle le Maroc serait lié à la création et à la gestion de la mosquée, ce qui a été au centre de controverses, alimentées par les enjeux géopolitiques, notamment depuis l’indépendance du Maroc en 1956 et l’évolution des relations entre la France et les pays du Maghreb.
Contexte historique : La création de la Mosquée de Paris
La Mosquée de Paris a été inaugurée en 1926 dans un contexte spécifique, celui de la Première Guerre mondiale et de la reconnaissance de l’effort de guerre des mohammediens (musulmans) ayant servi dans l’armée française. De nombreux soldats venus du Maghreb, notamment des anciens protectorats français d’Algérie, de Tunisie et du Maroc, ont combattu aux côtés des Français pendant la guerre. En reconnaissance de cet engagement, les autorités françaises ont décidé de construire un monument symbolique en l’honneur des soldats musulmans.
Le projet de la mosquée a été confié à l’architecte Maurice Tranchant et à l’architecte marocain Alim Azizi, ce qui en fait, dès sa création, une mosquée à l’architecture mêlant éléments traditionnels du monde arabe et influences françaises. La mosquée devait aussi être un lieu de rassemblement pour les musulmans vivant en France, principalement les travailleurs migrants du Maghreb.
La question de la marocanité : Une origine controversée
Au fil des années, l’histoire de la Mosquée de Paris s’est vue teintée par des débats sur son lien avec le Maroc. Le pays d’origine des architectes, mais aussi de certains responsables à la tête de la mosquée, a contribué à la construction d’une certaine image de la mosquée comme étant « marocaine ». Cependant, cet aspect a été source de confusion et de méprise, en particulier concernant son financement et sa gestion.
À l’origine, la Mosquée de Paris a été construite avec des fonds collectés en France, notamment par la communauté musulmane, mais aussi avec une contribution financière provenant de l’État français. Le Maroc, en tant que protectorat français à l’époque, n’a pas été directement impliqué dans la gestion ou la création du projet. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la mosquée n’était pas une initiative spécifiquement marocaine, mais bien une initiative française en lien avec la reconnaissance des soldats musulmans.
Cependant, une fois la mosquée ouverte, il est devenu courant de relier l’établissement à la culture marocaine, en raison de l’implication de certains marocains dans sa gestion. Ce lien entre la Mosquée de Paris et le Maroc se renforcerait au fil des décennies, en particulier après l’indépendance du Maroc en 1956, lorsque les relations diplomatiques entre le Maroc et la France se sont intensifiées.
Les aspects juridiques de la « marocanité » de la mosquée
1. Le rôle de l’État marocain après l’indépendance
Après l’indépendance du Maroc en 1956, le pays a progressivement pris part à la gestion des institutions religieuses musulmanes en France. Cette implication est devenue plus visible à partir des années 1970, lorsque le Royaume du Maroc a pris une position plus active vis-à-vis des affaires musulmanes en France, notamment avec l’Association des Oulémas marocains qui a joué un rôle d’intermédiaire entre la communauté musulmane et l’État marocain.
Dans ce cadre, plusieurs initiatives ont vu le jour pour renforcer le lien symbolique et politique entre le Maroc et la Mosquée de Paris. Le Maroc a ainsi exercé une pression croissante pour que cette mosquée soit perçue comme un symbole de sa propre influence religieuse en France. Cette implication a notamment pris la forme d’un financement de certaines activités religieuses ou de l’envoi d’imams marocains.
Cependant, juridiquement parlant, la mosquée n’a jamais été placée sous l’autorité directe du Maroc. Elle relève toujours du droit français et de l’association gestionnaire, la Grande Mosquée de Paris, qui reste indépendante de toute structure étatique étrangère. En ce sens, bien que le Maroc ait joué un rôle de soutien moral et financier à certains moments, il n’a jamais eu de contrôle juridique formel sur la mosquée.
2. La question de la gestion et de la « marocanité »
Bien que la mosquée ait été largement associée à l’influence marocaine en raison des liens historiques, la question de son contrôle a continué d’être un sujet sensible. À partir des années 1980, le ministère marocain des Affaires religieuses a cherché à s’impliquer davantage dans la nomination des imams et dans la gestion de la mosquée, mais cette influence a été limitée par les autorités françaises. En 1983, la France a décidé de réaffirmer la séparation des Églises et de l’État, en insistant sur le fait que la Mosquée de Paris relève du cadre de la laïcité et de l’Association des Oulémas.
3. Les contestations liées à la gestion et au financement
La question du financement marocain de la Mosquée de Paris a également été source de controverses juridiques. En dépit de l’aide financière du Maroc, en particulier pour la construction de certaines extensions, l’État français a toujours insisté sur le fait que la mosquée était un espace indépendant, géré par une association régie par la loi de 1901, et non une institution étatique marocaine. Cette distinction juridique a permis à la France de garder un contrôle sur l’établissement tout en évitant toute instrumentalisation politique ou religieuse extérieure.
Une « marocanité » usurpée ?
L’idée selon laquelle la Mosquée de Paris aurait une « marocanité » revendiquée ou usurpée résulte d’un mélange complexe d’influences culturelles et historiques, mais elle ne repose pas sur une réalité juridique solide. Bien que certains éléments culturels marocains soient présents dans la mosquée, notamment au niveau architectural et religieux, la mosquée a toujours été une initiative d’État français, avec des influences marocaines venant plutôt d’une collaboration spirituelle et symbolique.
Au final, la Mosquée de Paris est un lieu de culte qui a incarné la présence musulmane en France, mais elle reste, sur le plan juridique, une institution indépendante des puissances étrangères, y compris du Maroc. Le débat autour de sa « marocanité » met en lumière les enjeux complexes entre les pays du Maghreb et la France, tout en soulignant les défis liés à l’influence religieuse et politique dans un cadre laïque.