
Avec l’arrivée du mois sacré de Ramadan, le gouvernement marocain a reconduit son initiative annuelle de mise en place de l’opération « le poisson à prix raisonnable », visant à encourager la consommation de poisson congelé. Cette initiative, instaurée il y a six ans, semble répondre à un besoin urgent des consommateurs face à l’envolée des prix du poisson frais. Cependant, cette mesure soulève une question fondamentale : pourquoi, dans un pays comme le Maroc, doté d’un littoral vaste et de ressources maritimes abondantes, les Marocains sont-ils contraints de se contenter de poisson congelé, faute de pouvoir s’offrir du poisson frais ?
Le Maroc, Un Pays Au Littoral Abondant, Mais Des Prix De Poisson Inaccessibles
Le Maroc, pays avec l’un des plus grands littoraux au monde et une industrie de la pêche parmi les plus importantes de la région, a tout pour être un acteur majeur dans la production et la consommation de produits de la mer. Pourtant, en 2023, le pays a importé environ 113 000 tonnes de poisson, un chiffre révélateur des difficultés rencontrées par le marché local pour satisfaire la demande intérieure en poisson frais. La secrétaire d’État chargée de la Pêche maritime, dans ses déclarations, a justifié ces importations par la volonté de soulager la pression sur le marché intérieur et de répondre aux besoins des unités de valorisation et de mise en conserve, mais les raisons sous-jacentes à la cherté du poisson demeurent floues.
Les Efforts du Gouvernement : Des Infrastructures Modernisées et Une Digitalisation Encourageante
Le gouvernement marocain a fait des efforts notables pour structurer le secteur de la pêche, en mettant en place plusieurs réformes visant à améliorer l’approvisionnement et la distribution des produits de la mer. Ainsi, la création de 70 marchés de gros de poisson dans les ports, aux points de débarquement, et dans les villages de pêcheurs, dont 14 de nouvelle génération, représente un investissement significatif, à hauteur de 635 millions de dirhams. De plus, 10 marchés de gros ont été créés en dehors des ports, et deux nouveaux marchés sont en cours de réalisation à Fès et Nador, avec un investissement de 655 millions de dirhams.
Ces initiatives visent à renforcer la traçabilité des produits de la mer et à moderniser la gestion du secteur, notamment à travers la digitalisation des enchères de poisson dans 34 marchés. L’objectif affiché est de structurer le marché intérieur et d’améliorer la gestion de l’offre et de la demande, mais ces efforts restent invisibles pour le consommateur final. Le prix du poisson ne semble pas avoir baissé de manière significative, et les marges excessives pratiquées par les intermédiaires continuent de plomber les finances des ménages marocains.
Le Problème Fondamental : Les Marges Excessives et la Spéculation
Si les efforts du gouvernement sont indéniables sur le plan de la modernisation des infrastructures, ils ne résolvent pas le problème de fond : celui des marges excessives et de la spéculation qui affectent les prix des produits de la mer. Les prix sur les marchés de gros fluctuent en fonction de nombreux facteurs, tels que les coûts des sorties des chalutiers en mer, les conditions météorologiques et les frais liés à la chaîne de distribution. Toutefois, l’absence de régulation du marché laisse la porte ouverte aux spéculateurs et aux intermédiaires qui profitent de la demande élevée pour faire grimper les prix.
La situation semble d’autant plus injuste quand on compare l’offre de poisson congelé à des prix attractifs avec celle du poisson frais, dont les prix restent inaccessibles pour une grande partie de la population. Il est paradoxal de constater qu’un pays possédant un accès direct aux ressources maritimes est dans l’obligation d’importer du poisson, un phénomène qui témoigne de l’échec de la régulation du marché de la pêche intérieure.
L’Initiative « Moul L7out » : Un Contrat Direct Sans Intermédiaires
L’une des initiatives les plus intéressantes dans la lutte contre les prix élevés du poisson a été lancée par un jeune entrepreneur de Marrakech, surnommé « Moul L7out » (l’homme du poisson). Ce dernier a pris l’initiative de proposer des sardines à prix réduit (5 dirhams le kilo) en évitant le circuit des intermédiaires. Cette initiative a révélé une réalité inquiétante : la spéculation et les marges excessives des intermédiaires sont bel et bien les principales causes de l’envolée des prix du poisson.
Malgré les efforts du gouvernement pour structurer la vente en gros et réguler la distribution, ce genre d’initiatives montre que la spéculation demeure un problème majeur sur le marché du poisson, rendant cette denrée inaccessible pour une grande partie de la population. Le modèle de « Moul L7out » met également en évidence que le système de distribution actuel n’est pas optimal, et que la suppression des intermédiaires pourrait permettre une baisse substantielle des prix.
Les Justifications Officielles : Les Lois du Marché
Face à la grogne populaire croissante concernant la cherté du poisson, la secrétaire d’État chargée de la Pêche maritime, Zakia Driouich, a tenté de justifier les hausses de prix en expliquant que les prix fluctuent selon les lois de l’offre et de la demande, ainsi que selon des facteurs externes comme les conditions météorologiques et les coûts des sorties des chalutiers. Cependant, ces explications ont du mal à convaincre une opinion publique de plus en plus frustrée par l’incapacité du gouvernement à réguler efficacement le marché.
La Nécessité d’une Réforme en Profondeur
Alors que l’initiative de l’Exécutif pour la vente de poisson congelé à prix raisonnable a certes permis de répondre à une partie de la demande, elle ne résout pas les problèmes structurels du marché de la pêche au Maroc. La question des marges excessives, de la spéculation et de l’absence de régulation sérieuse demeure centrale. Si le gouvernement persiste à justifier l’état actuel du marché par les lois du marché, les consommateurs, eux, attendent des réponses concrètes et des actions efficaces pour protéger leur pouvoir d’achat et garantir un accès équitable aux ressources maritimes du pays. L’initiative de « Moul L7out » montre que la solution passe peut-être par une refonte du système de distribution, en favorisant des circuits courts et en luttant contre la spéculation.