
Les résultats de la troisième édition de l’enquête nationale sur le lien social 2023 – Pôle civil, réalisée par l’Institut Royal des Études Stratégiques (IRES), ont permis de mieux comprendre les préférences linguistiques des Marocains, notamment en matière d’enseignement. L’enquête a révélé plusieurs tendances importantes concernant l’utilisation des langues au Maroc, avec des implications sur la culture, l’identité et l’éducation dans le pays.
Arabe Classique : La Langue Privilégiée pour l’Enseignement
L’un des résultats les plus significatifs de cette enquête est que l’arabe classique reste la langue préférée pour l’enseignement au Maroc. En effet, 73 % des participants ont exprimé leur désir de voir l’arabe classique adopter comme première langue d’enseignement dans le système scolaire. Cela démontre une forte préférence pour la langue officielle du pays, et reflète l’importance de l’arabe classique dans les pratiques culturelles et éducatives du Maroc. Cette tendance reste cohérente avec la place centrale que cette langue occupe dans l’identité nationale.
Darija : Un Intérêt Croissant, mais Relativement Limité dans l’Éducation
L’enquête révèle également que, bien qu’il existe un intérêt croissant pour le darija (arabe dialectal marocain) depuis 2016, son adoption dans le domaine de l’enseignement reste très limitée. Seuls 11 % des répondants ont exprimé leur préférence pour le darija comme langue d’enseignement en 2023. Ce chiffre montre que, malgré la popularité croissante du darija dans la vie quotidienne et les médias, il reste encore perçu comme une langue informelle, insuffisante pour un usage académique systématique. Cette préférence limitée pourrait aussi refléter des préoccupations liées à la normativité linguistique et à la préservation du patrimoine linguistique officiel du pays.
Amazigh : Une Demande Relativement Stable et Minoritaire
Quant à la langue amazighe, l’enquête montre que sa préférence en tant que langue d’enseignement est restée stable au fil des années, avec 5 % des participants exprimant leur souhait de l’utiliser dans le système éducatif. Cette stabilité suggère que, malgré les efforts politiques pour promouvoir l’amazigh, notamment à travers sa reconnaissance comme langue officielle du Maroc en 2011, son adoption dans l’éducation reste limitée et perçue comme une question élitiste. Les demandes en faveur de la généralisation de l’usage de l’amazigh, selon l’étude, ne parviennent pas à gagner un large soutien populaire.
Langues Étrangères : Baisse du Français, Montée de l’Anglais
Les résultats de l’enquête montrent également une évolution significative dans la préférence des Marocains pour les langues étrangères. Le français, traditionnellement la langue de l’élite et de l’administration, a connu une baisse notable dans les préférences des Marocains, passant de 63,5 % en 2016 à 36,9 % en 2023. Cette diminution pourrait être liée à plusieurs facteurs, dont la mondialisation, la révision des politiques éducatives et la perception d’une certaine distance du français par rapport à l’anglais et à d’autres langues modernes.
À l’inverse, la préférence pour l’anglais a fortement augmenté, avec 22 % des répondants favorisant l’anglais, un chiffre qui a presque doublé par rapport aux résultats précédents. Cette évolution s’explique par l’ouverture croissante du Maroc sur le monde anglo-saxon, notamment à travers les opportunités économiques, les échanges internationaux et les secteurs liés à la technologie, où l’anglais reste la langue dominante. Cette évolution suggère que l’anglais pourrait jouer un rôle de plus en plus important dans le futur système éducatif marocain.
Bilinguisme : Une Option Prédominante, mais en Légère Diminution
L’enquête a également examiné les préférences des Marocains en matière de bilinguisme. En 2023, 50,8 % des répondants ont indiqué préférer être bilingues, mais cette proportion a légèrement diminué par rapport aux années précédentes. En revanche, 49,2 % des personnes interrogées préfèrent parler une seule langue, ce qui pourrait suggérer un retour à des identités linguistiques plus marquées et une attention accrue à l’authenticité linguistique.
L’enquête indique que cette évolution du bilinguisme représente un défi pour le lien national, notamment au regard des débats sur l’unité linguistique et la diversité culturelle du Maroc. La revendication du bilinguisme, précise l’étude, est souvent portée par des mouvements culturels ou politiques qui ont des liens forts, soit avec des régions spécifiques, soit avec des influences étrangères, notamment celles des pays francophones.
Méthodologie de l’Enquête
L’enquête, qui a débuté au deuxième trimestre de 2022, a été réalisée par l’Institut Royal des Études Stratégiques (IRES) entre décembre 2022 et février 2023. L’échantillon de l’enquête a été composé de 6 000 personnes âgées de plus de 18 ans, réparties sur tout le territoire marocain. Les résultats ont permis d’étudier de manière détaillée les préférences linguistiques des Marocains et les évolutions des perceptions sociétales vis-à-vis de la langue et de la culture.
En conclusion les résultats de l’enquête nationale 2023 sur le lien social mettent en lumière les préférences et les tensions linguistiques qui existent au Maroc, ainsi que les défis auxquels le pays est confronté en matière de cohésion sociale et d’identité culturelle. Tandis que l’arabe classique reste la langue privilégiée pour l’enseignement, l’anglais semble émerger comme une langue incontournable pour les jeunes générations, reflétant l’ouverture croissante du Maroc à l’international. Le darija et l’amazigh continuent de susciter des débats sur leur place dans le système éducatif, tandis que le bilinguisme, bien que populaire, est confronté à des tensions liées à l’authenticité linguistique et aux enjeux politiques et culturels.