La nuit de vendredi à Essaouira restera gravée dans les mémoires de ceux qui ont eu la chance d’y assister. Dans le cadre du Festival Gnaoua et Musiques du Monde, la scène Moulay El Hassan a été le théâtre d’une série de performances envoûtantes, où tradition, spiritualité et innovation se sont rencontrées pour offrir au public une expérience musicale rare.
Dès le début de la soirée, l’affluence était telle que le front de mer a été pris d’assaut. Certains festivaliers, contraints d’attendre à l’extérieur, s’interrogeaient avec anxiété : « Est-ce qu’il y a toujours les Gnaouas ? » — une question simple, mais qui en disait long sur l’attachement profond du public à ces artistes porteurs d’une mémoire vibrante.
Maâlem Mustapha Baqbou et Fahd Benchemsi : un démarrage sous haute tension
C’est avec une prestation puissante que Maâlem Mustapha Baqbou, figure incontournable du patrimoine gnaoui, a ouvert la soirée aux côtés de Fahd Benchemsi. Leur dialogue musical, ancré dans les racines spirituelles de la tradition, a rapidement transformé la place en un vaste espace de transe collective. Les percussions, les chœurs et le guembri ont rappelé que le Gnaoua est bien plus qu’un genre musical : c’est une énergie rituelle, une mémoire vivante.
Le retour magistral de Maâlem Abdelkébir Merchane
Mais le moment de grâce est venu avec l’apparition de Maâlem Abdelkébir Merchane, l’un des piliers du Gnaoua traditionnel. Dans une communion rare avec un public totalement conquis, il a déroulé un répertoire riche, entre ferveur ancestrale et célébration populaire. Avec une intensité émotionnelle bouleversante, le guembri de Merchane a prolongé les vibrations séculaires de ses maîtres et ancêtres.
Fusion spirituelle entre Dhafer Youssef et Maâlem Morad ElMarjan
La soirée a ensuite pris une tournure plus introspective avec la rencontre exceptionnelle entre le musicien tunisien Dhafer Youssef et Maâlem Morad ElMarjan. Le premier, maître du oud et figure emblématique du jazz spirituel contemporain, a emmené le public dans un voyage sonore hors du temps, tissant des ponts entre soufisme, musique classique et improvisation.
Le second, jeune maâlem originaire de Rabat, a répondu avec la profondeur tellurique du guembri, ancrant cette fusion dans l’héritage gnaoui. Ensemble, ils ont livré un dialogue musical subtil et transcendental, à la fois méditatif et puissamment incarné.
Deux voix, deux continents, une transe féminine inédite
Autre moment fort de la soirée : la rencontre rare entre Rokia Koné, griotte malienne à la voix envoûtante, et Asmaa Hamzaoui, pionnière du Gnaoua au féminin avec son groupe Bnat Timbouktou. Leurs univers, nourris des traditions bamana et gnaouie, ont fusionné pour donner naissance à une transe au féminin, pleine de puissance, de révolte et de beauté.
Le groove mandingue s’est fondu aux rythmes sacrés du Maroc, tissant un pont sonore entre Bamako et Marrakech, entre les luttes des femmes d’Afrique et la puissance de leur expression artistique.
CKay : un final électrique entre afrobeat et sensualité
Pour clore cette deuxième nuit du festival, le phénomène nigérian CKay est monté sur scène sous les acclamations d’un public impatient. Entre afrobeat, pop et sensualité, l’auteur du tube mondial Love Nwantiti a offert un final électrisant, résolument ancré dans la modernité.
Avec son énergie communicative et ses sons aux résonances globales, il a scellé la soirée dans une communion exaltée, offrant une transition parfaite entre le sacré et le contemporain.
Essaouira, cœur battant de la mémoire et de l’avenir musical africain
Au-delà des performances, cette soirée à Essaouira a rappelé une évidence : le Festival Gnaoua n’est pas qu’un événement artistique, c’est un espace de transmission, de fusion et de liberté, où les racines s’ouvrent aux vents du monde. Et c’est là que réside sa plus grande force.
