Tahar Ben Jelloun : quand l’écriture devient peinture

Le Musée Mohammed VI d’art moderne et contemporain (MMVI) à Rabat a inauguré, le mardi 8 avril, une exposition exceptionnelle intitulée « Tahar Ben Jelloun : De l’écriture à la peinture ». Programmée jusqu’au 30 juin, cette rétrospective inédite explore une facette encore trop peu connue du célèbre écrivain franco-marocain : son œuvre picturale. À travers une quarantaine de toiles et une sélection de manuscrits originaux, le musée rend hommage à un créateur aux multiples visages, dont l’art tisse un lien profond entre la parole et la couleur, entre la mémoire littéraire et l’émotion visuelle.

L’écrivain qui peignait avec la lumière

Romancier, poète, essayiste, Tahar Ben Jelloun est connu pour sa plume acérée, engagée et profondément humaine. Mais l’artiste, on le découvre ici, est également un peintre du sensible, un coloriste dont la vocation plastique remonte à l’enfance : « J’ai commencé à dessiner avant d’apprendre à lire et à écrire », confie-t-il dans le parcours de l’exposition. Pourtant, ce n’est qu’à un âge plus mûr, encouragé par un ami italien, qu’il ose enfin prendre le pinceau et se consacrer à la peinture.

Pour Ben Jelloun, cet art visuel n’est pas une rupture avec l’écriture, mais un prolongement intime. Peindre, dit-il, c’est passer de « la douleur du monde » à « la lumière de ce même monde ». Il ne se revendique pas peintre au sens académique, mais plutôt comme un écrivain en quête de rédemption par la couleur : « Je suis un écrivain qui essaye de se racheter en faisant danser les couleurs prises dans le ciel et la mer de Tanger. »

Une peinture vibrante et habitée

Ses toiles rayonnent de couleurs franches — jaunes solaires, bleus profonds, rouges ardents, oranges lumineux — qui traduisent une volonté de saisir l’instant lumineux, de célébrer la beauté, sans occulter les ombres du réel. Dans chaque composition, une énergie spontanée, joyeuse, presque enfantine, s’exprime. Les formes flottent entre abstraction lyrique et figures stylisées : oiseaux, signes calligraphiques, silhouettes esquissées comme des fragments de rêve ou de mémoire.

Ces symboles mystérieux agissent comme une écriture parallèle : un langage pictural inventé, entre poésie visuelle et méditation spirituelle. À l’instar de ses textes, ses tableaux interrogent l’humain, ses douleurs et ses espoirs, mais par un autre biais — celui de la lumière, du geste et de l’intuition.

Une œuvre entre deux arts, deux cultures

Dans le catalogue de l’exposition, l’écrivain français Jérôme Clément souligne avec finesse cette double appartenance créative : « Tahar est un créateur de mots, un homme de plume devenu homme de pinceau dans la même recherche de l’autre, du monde qu’il observe, comprend et cherche à nous transmettre : sa vie, celle de ses contemporains, les paysages qui les entourent. » L’écriture et la peinture ne sont donc pas deux chemins séparés, mais deux voix parallèles, guidées par la même exigence de sens et de beauté.

Ce dialogue des cultures se retrouve également dans les vitraux que Tahar Ben Jelloun a conçus en 2019 pour une église du XIIIe siècle à Thoureil, en France. Une manière d’unir le soleil de Tanger aux lueurs angevines, dans une œuvre qui mêle esthétiques musulmane et chrétienne, dans un esprit d’ouverture, de spiritualité et de dialogue interculturel.

Une peinture du bonheur

Selon Aziz Daki, cofondateur de la galerie L’Atelier 21, la peinture est d’abord une source de plaisir profond pour l’artiste : « Ce bonheur de peindre est l’une des marques patentes de l’artiste. Toutes les toiles de Tahar se ressentent du plaisir que leur auteur a éprouvé en les réalisant. » Peindre devient pour lui une forme de liberté pure, un face-à-face amoureux avec la toile : « Pas de joute, pas de partie à qui perd-gagne. Peindre n’est pas une épreuve pour Tahar. Chaque toile constituant une promesse vers le bonheur. »

Cette générosité du geste et cette sérénité intérieure se retrouvent dans toutes les œuvres exposées au MMVI. Ce ne sont pas des tableaux figés dans une narration ou un message unique, mais des fenêtres ouvertes sur l’imaginaire, le souvenir, le désir de vivre.

Une exposition à la croisée des chemins

Sous le commissariat d’Abdelaziz El Idrissi et de Boubker Temli, cette rétrospective offre une immersion rare dans l’univers de Ben Jelloun, en croisant peinture, littérature et témoignages intimes. Elle montre qu’un artiste peut naviguer entre les formes sans jamais trahir son essence : celle d’un homme qui regarde le monde avec gravité mais sans renoncer à la lumière.

« Tahar Ben Jelloun : De l’écriture à la peinture » est donc bien plus qu’une exposition. C’est une leçon de beauté, un chant d’espérance, une déclaration d’amour à la création, sous toutes ses formes.

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