
Une récente note publiée par le Haut-Commissariat au Plan (HCP), concernant le niveau de vie des ménages pour la période 2022-2023, révèle une situation paradoxale au Maroc : bien que le niveau de vie des ménages ait globalement connu une amélioration, les inégalités sociales ont, quant à elles, persisté, voire se sont accentuées. Si les riches ont principalement tiré parti de la croissance économique, les pauvres ont bénéficié de mesures sociales ciblées qui ont conduit à une amélioration relative de leurs conditions de vie. En revanche, les classes moyennes, souvent perçues comme le moteur du développement, semblent être les grandes perdantes de cette dynamique.
Un Impact Contradictoire des Politiques Sociales et de la Croissance
Globalement, le rapport du HCP souligne une amélioration du niveau de vie des ménages marocains, mais cette amélioration a été inégalement répartie. Les riches ont bénéficié principalement des effets positifs de la croissance économique, tandis que les couches sociales défavorisées, ciblées par les politiques de filets sociaux, ont connu des changements plus tangibles, bien que relativement modérés.
Les Bénéficiaires des Politiques Sociales : Les « Pauvres »
Les politiques de filets sociaux ont été un levier majeur pour améliorer le niveau de vie des ménages les plus vulnérables. L’aide sociale directe (comme les aides aux familles défavorisées, les transferts monétaires, etc.) a permis une réduction de la pauvreté pour les couches sociales les plus pauvres. Selon la note du HCP, entre 2014 et 2019, les plus défavorisés ont vu leur niveau de vie évoluer positivement de +1,1% par an. Cependant, cette dynamique a été brusquement renversée à partir de 2020, avec une baisse de -4,6% sur la période 2020-2022. Cette chute peut être attribuée à plusieurs facteurs, notamment la pandémie de COVID-19, les chocs économiques et l’inflation, qui ont aggravé la précarité de ces populations. Néanmoins, l’aide sociale directe a eu un impact relativement positif, bien qu’insuffisant pour compenser les effets négatifs des crises successives.
Les Aînés : Les « Riches » en Hausse, Mais à Relatif Recul
Pour les plus riches, la situation a été plus favorable. Ceux-ci ont profité de la croissance économique, et ont enregistré une hausse annuelle de 1,4% de leur niveau de vie entre 2014 et 2019. Cependant, cette dynamique a été freinée durant la période suivante (2020-2022), avec une baisse de 1,7%, conséquence de la crise économique mondiale, de l’augmentation des prix des biens de consommation et des perturbations causées par la pandémie. Malgré cette baisse, les riches ont globalement maintenu un niveau de vie supérieur, bénéficiant ainsi davantage des fruits de la croissance que les autres catégories sociales.
La Classe Moyenne : Victime du « Déclassement »
Ce qui ressort surtout de l’analyse du HCP, c’est que les classes moyennes ont été les plus durement touchées. Bien qu’elles aient connu une légère progression de +0,8% par an entre 2014 et 2019, cette évolution n’a pas été suffisante pour les protéger des effets des crises successives. Entre 2020 et 2022, la classe moyenne a vu son niveau de vie chuter de -4,3%. Le HCP souligne que la classe moyenne n’a pas bénéficié ni des fruits de la croissance, ni des politiques de redistribution, ce qui a conduit à une augmentation de la vulnérabilité de cette catégorie sociale.
Les Causes du Déclassement de la Classe Moyenne
Le déclassement des classes moyennes peut être attribué à plusieurs facteurs :
- L’inflation : La hausse des prix, particulièrement celle des produits de consommation courante, a eu un impact significatif sur le pouvoir d’achat des classes moyennes, qui voient leur revenu réel diminuer malgré des salaires relativement stables.
- La stagnation des salaires : Bien que cette catégorie sociale bénéficie généralement d’une certaine sécurité économique, les salaires n’ont pas suivi le rythme de la hausse des coûts de la vie. Cela a engendré une pression supplémentaire sur leurs finances.
- Les crises économiques successives : La pandémie de COVID-19, les perturbations des chaînes d’approvisionnement mondiales, et la guerre en Ukraine ont affecté particulièrement les classes moyennes. En l’absence de mesures de soutien spécifiques, cette catégorie a été largement oubliée par les dispositifs de filets sociaux, qui se sont concentrés sur les plus vulnérables.
- L’absence de politiques ciblées pour les classes moyennes : Contrairement aux couches sociales les plus pauvres, les classes moyennes n’ont pas vu de politiques économiques directement orientées pour leur soutien. Elles n’ont pas pu bénéficier pleinement de la croissance économique, ni des transferts sociaux qui étaient plutôt destinés aux plus démunis.
Une Croissance Sans Réduction des Inégalités
L’une des grandes conclusions du rapport du HCP est que, malgré une amélioration générale du niveau de vie des ménages, les inégalités sociales persistent. Les riches ont continué de bénéficier des avantages de la croissance, tandis que les pauvres ont vu une amélioration relative de leurs conditions de vie grâce aux politiques sociales mises en place. Cependant, la classe moyenne, qui constitue généralement un pilier de l’économie, semble être prise en étau entre une stagnation des revenus et une augmentation des coûts de la vie.
Le rapport met en lumière l’urgence de repenser les politiques économiques et sociales pour répondre aux défis actuels : renforcer le soutien aux classes moyennes, garantir un meilleur partage des fruits de la croissance et accélérer les politiques de redistribution pour lutter contre la montée des inégalités sociales.