🧭 Maroc et migration subsaharienne : entre solidaritĂ© spontanĂ©e et crispation sociale

Alors que le Maroc affirme progressivement son statut de pays d’accueil migratoire, une rĂ©cente enquĂȘte menĂ©e par le Centre Marocain pour la CitoyennetĂ© (CMC) en mars 2023 jette une lumiĂšre contrastĂ©e sur l’opinion publique nationale. Entre Ă©lans de solidaritĂ© et inquiĂ©tudes identitaires, les perceptions des Marocains face Ă  la migration, notamment en provenance d’Afrique subsaharienne, rĂ©vĂšlent un malaise grandissant.


📊 Une opinion publique partagĂ©e, parfois sous tension

L’enquĂȘte, menĂ©e en ligne auprĂšs de 3.158 rĂ©pondants de toutes les rĂ©gions, dresse un portrait nuancĂ© mais prĂ©occupant des attitudes envers les migrants :

  • 86 % des participants estiment que l’augmentation du nombre de migrants pourrait devenir un problĂšme pour le Maroc.
  • 44 % ne s’opposent pas Ă  ce que le pays devienne une terre d’accueil, mais 37 % ne l’acceptent qu’à certaines conditions.
  • 66 % rejettent l’idĂ©e que le Maroc remplace l’Europe comme solution migratoire, et 72 % refusent que le pays joue le rĂŽle de « gendarme » des frontiĂšres de l’UE.

Bien que l’échantillon ne soit pas reprĂ©sentatif au sens strict, ces chiffres traduisent une perception collective de plus en plus tendue, nourrie Ă  la fois par les rĂ©alitĂ©s sociales et les discours mĂ©diatiques.


🧡 La solidaritĂ© reste prĂ©sente, malgrĂ© tout

MalgrĂ© cette crispation, 59 % des sondĂ©s dĂ©clarent avoir aidĂ© matĂ©riellement au moins un migrant, une solidaritĂ© qui tĂ©moigne de l’ancrage de valeurs humaines fortes dans la sociĂ©tĂ© marocaine.

Ce geste est toutefois plus fréquent chez les plus de 30 ans (70 %) que chez les jeunes (46 %). Ces derniers, bien que plus connectés, affichent moins de tolérance :

  • 53 % des moins de 30 ans s’opposent Ă  l’accĂšs des migrants Ă  l’éducation et aux soins.
  • 58 % refusent leur prĂ©sence dans le voisinage ou leur insertion sur le marchĂ© du travail.

🧠 Une jeunesse inquiĂšte et dĂ©senchantĂ©e

Cette fracture gĂ©nĂ©rationnelle s’explique en partie par une prĂ©caritĂ© Ă©conomique ressentie, notamment chez les jeunes confrontĂ©s au chĂŽmage et Ă  la difficultĂ© d’insertion sociale. Pour beaucoup, les migrants apparaissent comme des concurrents pour des ressources dĂ©jĂ  perçues comme limitĂ©es.

Les auteurs du rapport relĂšvent un sentiment diffus d’abandon chez la jeunesse, qui voit dans la migration un rĂ©vĂ©lateur de fractures sociales internes et de manquements institutionnels.


🌐 XĂ©nophobie numĂ©rique et tensions urbaines

Les rĂ©seaux sociaux jouent un rĂŽle central dans cette polarisation. Le rapport souligne la montĂ©e inquiĂ©tante des discours xĂ©nophobes en ligne, attisĂ©s par des vidĂ©os Ă  caractĂšre raciste, parfois relayĂ©es par des migrants eux-mĂȘmes ou des Marocains, dans une spirale de stigmatisation mutuelle.

Certaines zones urbaines sensibles, comme Oulad Ziane Ă  Casablanca, sont citĂ©es comme des foyers de tension, oĂč l’absence de rĂ©ponse coordonnĂ©e des autoritĂ©s alimente le rejet et l’exaspĂ©ration des riverains.


đŸ›Ąïž Entre politique migratoire et droits humains

Depuis 2013, le Maroc a pourtant engagĂ© une StratĂ©gie nationale d’immigration et d’asile (SNIA), ayant permis la rĂ©gularisation de prĂšs de 50.000 migrants et leur accĂšs progressif Ă  des services de base.

Mais les obstacles Ă  l’intĂ©gration restent nombreux, selon le sondage :

  • Économiques : 22,2 %
  • Sociaux : 20,9 %
  • Culturels : 20,1 %
  • Religieux et linguistiques

La cohésion sociale est encore fragile, et la logique sécuritaire reste dominante dans la gestion des flux migratoires.


✅ Recommandations du CMC : pour une politique plus humaine

Le rapport du CMC appelle à une réorientation de la politique migratoire marocaine autour de principes de dignité et de droits humains. Parmi les pistes avancées :

  • Rompre avec la logique sĂ©curitaire dictĂ©e par l’Europe
  • Criminaliser les discours haineux et racistes
  • Renforcer l’action des collectivitĂ©s locales et de la sociĂ©tĂ© civile
  • Promouvoir des campagnes d’éducation citoyenne et interculturelle
  • Valoriser les rĂ©cits de coexistence rĂ©ussie et les parcours d’intĂ©gration

✍ En conclusion

Entre ouverture humanitaire et tensions sociales, le Maroc vit un moment charniĂšre dans sa trajectoire migratoire. Ce dĂ©bat ne peut ĂȘtre rĂ©duit Ă  une opposition entre hospitalitĂ© et rejet : il invite Ă  penser un modĂšle d’intĂ©gration Ă©quitable, inclusif et durable, Ă  la hauteur des valeurs historiques d’accueil du Royaume, mais aussi de ses dĂ©fis socio-Ă©conomiques contemporains.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Retour en haut