
Casablanca, 27 juin 2025. Une page sâest tournĂ©e, mais le livre reste ouvert. Kaoutar Boudarraja, animatrice, comĂ©dienne, ex-mannequin et militante, sâest Ă©teinte Ă lâĂąge de 40 ans, emportĂ©e par un cancer contre lequel elle sâest battue en silence, avec la mĂȘme dignitĂ© et la mĂȘme franchise qui ont marquĂ© toute sa vie. Elle laisse derriĂšre elle un hĂ©ritage de libertĂ©, dâaudace, de vĂ©ritĂ©. Une femme rare, qui a prĂ©fĂ©rĂ© exister pleinement plutĂŽt que plaire Ă tout prix.
đč Une femme de vĂ©ritĂ© dans un monde de faux-semblants
NĂ©e Ă Casablanca en 1985, Kaoutar Boudarraja nâest pas issue du monde du spectacle, mais dâun Maroc ordinaire. Une enfance marquĂ©e par une absence paternelle douloureuse, qui nourrira son caractĂšre entier. AprĂšs un parcours acadĂ©mique en commerce international, elle bifurque trĂšs tĂŽt vers le mannequinat. Son regard, sa dĂ©marche, son assurance la propulsent rapidement sur les podiums et dans les magazines. Mais ce monde, elle le traverse sans jamais sây enfermer :
« Je voulais plus que des sourires figés. »
đș De Star Academy Ă la parole libĂ©rĂ©e
Le vĂ©ritable tournant a lieu en 2007, avec sa participation Ă Star Academy Maghreb. Elle ne remporte pas lâĂ©mission, mais impose une prĂ©sence, une aisance unique devant les camĂ©ras. Sâensuit une carriĂšre tĂ©lĂ©visuelle riche : Nessma TV, puis Interdit aux hommes, un talk-show sans filtre qui deviendra sa marque de fabrique. Elle y aborde des sujets alors tabous : sexualitĂ©, violences conjugales, maternitĂ©, divorce⊠Elle parle pour celles quâon fait taire.
Kaoutar dĂ©range, mais elle avance. Et elle inspire. Elle devient une figure de la femme arabe moderne : indĂ©pendante, cultivĂ©e, engagĂ©e. En 2015, elle brille Ă lâĂ©chelle panarabe dans lâĂ©mission Arab Presenter.
đ©âđŠ Une mĂšre, seule et forte
Peu le savaient, mais Kaoutar Ă©tait aussi mĂšre dâun petit garçon, Jibril, quâelle a Ă©levĂ© seule. Elle ne dĂ©voile son visage quâen 2022, aprĂšs des annĂ©es de silence protecteur.
« Câest ma plus belle rĂ©ussite. »
Elle refuse la victimisation, assume sa maternitĂ© solo avec dignitĂ©, sans sâexcuser, sans chercher Ă plaire.
đŹ Une actrice engagĂ©e, une voix qui compte
InstallĂ©e un temps Ă Rabat, elle rejoint MĂ©di1 TV avec Jari Ya Jari, puis poursuit une carriĂšre dans la fiction : Al Madi La Yamout, Salamat Abou Al Banat, Sewlou Dmou3i. Elle explore mĂȘme la science-fiction et intĂšgre un projet Netflix en 2022. Mais au-delĂ des Ă©crans, elle utilise surtout ses rĂ©seaux sociaux comme un espace de parole libĂ©rĂ©e, Ă©coutĂ©e par des milliers de femmes marocaines. Elle y parle de rĂšgles, de santĂ© mentale, de harcĂšlement de rue, de consentement â toujours avec une honnĂȘtetĂ© brute, sans posture.
En 2020, elle devient ambassadrice du programme Stand Up de LâOrĂ©al, pour sensibiliser au harcĂšlement de rue. Elle milite, doucement mais fermement, pour les libertĂ©s individuelles, le droit dâexister pleinement dans son corps et dans la sociĂ©tĂ©.
đ Une disparition discrĂšte, un souvenir immense
En 2024, le cancer sâintensifie. Kaoutar se retire peu Ă peu de la scĂšne mĂ©diatique. Elle choisit de vivre ses derniers mois dans lâintimitĂ©, Ă Casablanca, entourĂ©e de ses proches. Elle sâĂ©teint le vendredi 27 juin 2025, dans la discrĂ©tion quâelle avait toujours exigĂ©e pour son intimitĂ©. Elle est inhumĂ©e le jour mĂȘme, comme elle le souhaitait.
De Rachid El Ouali Ă Latifa Ahrar, de Meryem El Ouaibi aux centaines dâanonymes, les hommages affluent. Mais le plus grand hommage reste celui des femmes qui, grĂące Ă elle, ont osĂ© parler. Des femmes qui se sont senties vues, entendues, respectĂ©es.
⚠Un héritage vivant
Kaoutar Boudarraja nâĂ©tait pas une star. Elle Ă©tait une prĂ©sence. Une femme entiĂšre, libre, sans fard. Une voix. Elle laisse un vide immense dans les mĂ©dias maghrĂ©bins, mais aussi un exemple inspirant :
« Elle nâa pas cherchĂ© Ă durer, mais Ă exister pleinement. »
Dans ce Maroc en transformation, Kaoutar restera comme un repĂšre : celui dâune femme qui a choisi la parole, le courage et la sincĂ©ritĂ©, mĂȘme quand cela dĂ©rangeait.
đïž Par Brahim Tamimi
Blog dâactualitĂ©s marocaines â juillet 2025