
Parmi les dĂ©fis majeurs auxquels le systĂšme de santĂ© marocain fait face, celui de la pĂ©nurie chronique de mĂ©decins est sans doute le plus Ă©pineux. Avec seulement 8,6 mĂ©decins pour 10.000 habitants, selon les derniers chiffres, le Maroc reste loin du seuil de 15,3 fixĂ© par lâOrganisation mondiale de la santĂ©. Une situation alarmante qui menace directement la rĂ©ussite du projet phare de la gĂ©nĂ©ralisation de la protection sociale.
đ Une course contre la montre⊠au dĂ©triment de la qualitĂ© ?
Pour rattraper ce retard, le gouvernement a engagĂ© une stratĂ©gie ambitieuse : crĂ©ation de nouvelles facultĂ©s, rĂ©duction de la durĂ©e des Ă©tudes mĂ©dicales de 7 Ă 6 ans, assouplissement des conditions dâaccĂšs aux Ă©tudes. Objectif : former plus de mĂ©decins, plus rapidement.
Mais cette logique quantitative soulĂšve de vives inquiĂ©tudes quant Ă la qualitĂ© de la formation dispensĂ©e. Sur le terrain, les signaux dâalerte se multiplient : manque de moyens pĂ©dagogiques, encadrement insuffisant, infrastructures saturĂ©es. Les Ă©tudiants tirent la sonnette dâalarme.
đ Ă la facultĂ© de mĂ©decine de Casablanca, un malaise gĂ©nĂ©ralisĂ©
En mai dernier, Ă la FacultĂ© de mĂ©decine et de pharmacie de Casablanca, lâambiance est pesante. Les Ă©tudiants, longtemps discrets, nâhĂ©sitent plus Ă exprimer leur ras-le-bol. Ayoub, Ă©tudiant en 3e annĂ©e, lĂąche avec rĂ©signation :
« Nous sommes dĂ©laissĂ©s. Je regrette dâavoir choisi cette voie. »
Comme lui, de nombreux Ă©tudiants dĂ©noncent un systĂšme de formation dĂ©sorganisĂ©, usant, et dĂ©connectĂ© des rĂ©alitĂ©s mĂ©dicales. Une formation quâils jugent trop thĂ©orique, mal encadrĂ©e et souvent menĂ©e dans des conditions dâapprentissage prĂ©caires.
đ§ł Une jeunesse tentĂ©e par lâexil
LeĂŻla, Ă©tudiante en 2e annĂ©e, tente de garder espoir. Mais elle confie que son rĂȘve de devenir mĂ©decin au Maroc est en train de sâeffriter :
« Je ne veux pas abandonner, mais je rĂ©flĂ©chis sĂ©rieusement Ă partir. Ailleurs, jâaurai peut-ĂȘtre la formation que je mĂ©rite. »
Un sentiment partagĂ© par une majoritĂ© Ă©crasante de futurs mĂ©decins. DâaprĂšs une enquĂȘte informelle menĂ©e en 2021 Ă Casablanca auprĂšs de 251 Ă©tudiants en derniĂšre annĂ©e, plus de 70 % envisagent de quitter le pays une fois diplĂŽmĂ©s. En cause : le manque de reconnaissance, les conditions dâĂ©tude, et le dĂ©calage entre ambitions professionnelles et rĂ©alitĂ© de terrain.
â ïž Une grĂšve historique aux lourdes consĂ©quences
La tension a atteint son paroxysme entre dĂ©cembre 2023 et novembre 2024, lorsquâun boycott national sans prĂ©cĂ©dent a paralysĂ© les Ă©tudes mĂ©dicales pendant prĂšs dâun an. Les Ă©tudiants ont massivement dĂ©noncĂ© la rĂ©forme rĂ©duisant la durĂ©e des Ă©tudes, mais aussi et surtout lâabsence de conditions adĂ©quates de formation :
- Salles de cours surchargées
- Manque criant de matériel médical et pédagogique
- Encadrement insuffisant pour les stages
- Absence de vision claire du cursus
La colĂšre a culminĂ© lors de la « Marche de la colĂšre » organisĂ©e en juillet 2024 devant le Parlement. Le bras de fer sâest terminĂ© par un accord fragile, signĂ© en novembre 2024 sous la mĂ©diation du MĂ©diateur du Royaume. Les cours ont repris, mais les plaies restent ouvertes.
đïž Une rĂ©forme structurelle nĂ©cessaire, mais insuffisante
MalgrĂ© les efforts du gouvernement pour accĂ©lĂ©rer la cadence, la rĂ©alitĂ© sur le terrain reste alarmante. Les Ă©tudiants continuent Ă dĂ©noncer des conditions de formation quâils jugent incompatibles avec les standards internationaux. Dans plusieurs facultĂ©s (Rabat, Oujda, TangerâŠ), les protestations persistent.
Le sentiment gĂ©nĂ©ral est clair : former plus de mĂ©decins ne suffit pas si la formation elle-mĂȘme est dĂ©faillante. Le systĂšme doit ĂȘtre repensĂ© en profondeur, avec :
- Une revalorisation du corps enseignant
- Un investissement massif dans les infrastructures
- Un renforcement des stages pratiques
- Un accompagnement pédagogique personnalisé
đ©ș Quel avenir pour la santĂ© publique au Maroc ?
Ă lâheure oĂč le Royaume sâengage dans une transformation de son systĂšme de santĂ©, la qualitĂ© de la formation des mĂ©decins devient une question stratĂ©gique. Car sans mĂ©decins compĂ©tents, formĂ©s et motivĂ©s, la gĂ©nĂ©ralisation de la couverture sociale risque de devenir un slogan sans substance.
đŻ Conclusion
La pĂ©nurie de mĂ©decins au Maroc est bien plus quâun simple problĂšme de chiffres. Elle rĂ©vĂšle une crise structurelle, humaine et pĂ©dagogique. Il est encore temps dâagir, mais cela nĂ©cessite plus que des rĂ©formes accĂ©lĂ©rĂ©es : il faut une vision claire, des moyens consĂ©quents, et une Ă©coute rĂ©elle de ceux qui seront les piliers de notre systĂšme de santĂ© de demain.